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mercredi 25 mars 2009

On a toujours raison de se révolter

Justice, force. — Il est juste que ce qui est juste soit suivi, il est nécessaire que ce qui est le plus fort soit suivi. La justice sans la force est impuissante ; la force sans la justice est tyrannique. La justice sans force est contredite, parce qu'il y a toujours des méchants; la force sans la justice est accusée. Il faut donc mettre ensemble la justice et la force, et, pour cela, faire que ce qui est juste soit fort, ou que ce qui est fort soit juste.
La justice est sujette à dispute, la force est très reconnaissable et sans dispute. Ainsi on n'a pu donner la force à la justice, parce que la force a contredit la justice et a dit qu'elle était injuste, et a dit que c'était elle qui était juste. Et ainsi, ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste.

Montaigne a tort : la coutume ne doit être suivie que parce qu'elle est coutume, et non parce qu'elle est raisonnable ou juste ; mais le peuple la suit par cette seule raison qu'il la croit juste. Sinon, il ne la suivrait plus, quoiqu'elle fût coutume ; car on ne veut être assujetti qu'à la raison ou à la justice. La coutume, sans cela, passerait pour tyrannie ; mais l'empire de la raison et de la justice n'est non plus tyrannique que celui de la délectation : ce sont les principes naturels à l'homme.
Il serait donc bon qu'on obéît aux lois et coutumes parce qu'elles sont lois ; qu'il [sic] sût qu'il n'y en a aucune vraie et juste à introduire, que nous n'y connaissons rien, et qu'ainsi il faut seulement suivre les reçues : par ce moyen, on ne les quitterait jamais. Mais le peuple n'est pas susceptible de cette doctrine ; et ainsi, comme il croit que la vérité se peut trouver, et qu'elle est dans les lois et coutumes, il les croit, et prend leur antiquité comme une preuve de leur vérité (et non de leur seule autorité sans vérité). Ainsi il y obéit ; mais il est sujet à se révolter dès qu'on lui montre qu'elles ne valent rien, ce qui se peut faire voir de toutes, en les regardant d'un certain côté.
Blaise Pascal, Pensées, fragments 298 et 325 (Brunschvicg)

7 commentaires:

  1. Et encore:

    L'empire fondé sur l'opinion et l'imagination règne quelque temps, et cet empire est doux et volontaire, celui de la force règne toujours. Ainsi l'opinion est comme la reine du monde, mais la force en est le tyran. {Pensées, fragment 665 du classement Lafuma}

    Qui n'est pas sans préfigurer ceci, d'un grand lecteur de Pascal:

    La société moderne qui, jusqu'en 1968, allait de succès en succès, et s'était persuadée qu'elle était aimée, a dû renoncer depuis lors à ces rêves: elle préfère être redoutée. {Commentaires sur la Société du Spectacle, XXX}

    Puisque vous aimez comparer les traductions, cher George (moi aussi), comparez également les éditions des Pensées. Je me permets de vous en recommander une en particulier, hélas restée assez confidentielle: celle d'Emmanuel Martineau parue chez Fayard/Armand Colin en 1992 sous le titre Discours sur la religion et quelques autres sujets. Beaucoup d'éditeurs classent les fragments pascaliens soit en respectant l'ordre des "liasses" constituées par Pascal, soit en cherchant à conjecturer le plan qu'il aurait donné à son ouvrage s'il l'avait achevé. Martineau, quant à lui, est parti de l'idée suivante: ses petits bouts de papier, Pascal les a produits en découpant de grandes feuilles sur lesquelles il avait jeté des notes cursives pour de brefs discours; il les a ensuite classés en liasses thématiques en vue de disposer ses idées autrement; et il en est resté là. Imaginer l'ordre qu'il leur aurait donné s'il était allé plus loin, c'est pure chimère; en revanche on peut chercher à à reconstituer la continuité primitive des discours avant leur découpage. Par collage, Martineau reconstruit ainsi 18 discours, ainsi qu'un canevas cursif de l'Apologie qu'ils devaient constituer. C'est lumineux. C'est même sublime, à mon humble avis d'Anonyme.
    Cette édition est encore disponible, au prix de 40 euros. Je suis sûr que vous ne les regretterez pas.

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  2. Trois remarques encore:

    • dans le manuscrit de Pascal, le premier fragment que vous reproduisez se subdivise en cinq courts paragraphes, et non deux.

    • dans le second fragment, après "Il serait donc bon qu'on obéît aux lois et coutumes parce qu'elles sont lois", Pascal avait d'abord écrit: "par là on ne se révolterait jamais, mais on ne s'y voudrait peut-être pas soumettre; on chercherait toujours la vraie", qu'il a rayé pour écrire la suite que vous reproduisez.

    • le flottement sur les pronoms que vous signalez d'un sic peut se comprendre de deux façons: soit "il" renvoie à "l'homme", à la fin du paragraphe précédent, ce qui est tout à fait possible même si l'antécédent est un peu éloigné; soit c'est un lapsus calami, et il faut lire "qu'on sût qu'il n'y en a aucune vraie et juste à introduire" — la pensée de Pascal file plus vite que sa plume, le "qu'il n'y en a…" qui vient après a déteint sur "qu'on sût…".

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  3. Enfin, au lieu de prendre le métro parisien où fleurissent ces autocollants que vous dénonciez dans une précédente note, prenez le bus, en ayant une pensée pour l'ami Blaise!
    En effet, après avoir découpé et classé ses bouts de papier, Pascal a abandonné la composition de son ouvrage pour se consacrer, avec l'appui financier du duc de Roannez, au projet des Carosses à cinq sols: le premier réseau de transports en commun parisien, des voitures desservant les principaux quartiers de la capitale suivant cinq "routes" fixes, où les particuliers pas assez riches pour avoir leur propre carosse montaient moyennant un prix fixe et relativement modique.

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  4. Merci, mais la plupart du temps je circule à vélo (engin que Pascal aurait sans doute fini par concevoir), ce qui ne présente que deux inconvénients : impossible de lire, et peu de protection contre la pluie. Fredric Brown ne trouvait le recueillement nécessaire pour concevoir ses récits qu'en sillonnant les USA à bord des bus Greyhound. J'ignorais le projet pascalien des Carrosses à cinq sols, mais du coup je trouve étrange que par-delà les siècles, les deux auteurs ayant sérieusement réfléchi au problème de la circulation dans la capitale soient tous deux morts à l'âge de 39 ans, juste après s'être intéressés au sujet : voyez Boris Vian, qui écrivit « Pour mieux rouler » (Textes et chansons, 10/18 n°452, pp. 138-149) peu avant son décès. Je vois que les Lettres patentes du Roi pour l'entreprise des carrosses datent de janvier-mars 1662, soit quelques mois avant la disparition de Pascal. Curieuse coïncidence, non ?
    Concernant Pascal, j'ai utilisé l'ancienne édition Pléiade, établie par Jacques Chevalier, qui ne donne de concordance qu'avec Brunschvicg et le foliotage "original". Je ne connaissais pas l'édition Martineau (décidément peu diffusé, entre ces Discours et son Être et temps !), qui semble en effet très judicieuse. Je crois que je vais suivre votre conseil, au grand dam de ma table de chevet qui n'en peut mais.
    Ce qui est amusant, c'est que c'est précisément un ancien condisciple de Martineau qui, venu me visiter hier, a attiré mon attention sur le passage des Pensées que j'ai "posté".
    Concernant la rature que vous mentionnez, je l'avais vue sur cette page, mais je n'ai pas sous la main d'autre édition que Chevalier. Quant au flottement sur les pronoms, je penche nettement pour le lapsus calami, car ce "il" vient entre un "on" et un "nous". Mais il ne semble pas que l'une ou l'autre hypothèse change quoi que ce soit au sens. Enfin, le fragment 665 (Lafuma) nous renvoie certes à Debord (votre mise en regard des deux passages est frappante), mais aussi à La Boétie, que Pascal avait lu.

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  5. Ai-je rêvé d'un passage du Blaise où celui-ci écrivait "Ne pouvant fortifier la justice, ils ont justifié la force" ? (ce qui collerait bien avec la première pensée...)

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  6. « Sans doute, l'égalité des biens est juste; mais, ne pouvant faire qu’il soit force d’obéir à la justice, on a fait qu’il soit juste d’obéir à la force; ne pouvant fortifier la justice, on a justifié la force, afin que la justice et la force fussent ensemble, et que la paix fût, qui est le souverain bien. »
    Fragment 299 (Brunschvicg), 238 (Chevalier)

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